Les poissons nagent, les oiseaux volent et nous, les humains, nous marchons. Marcher est notre principale activité et donc l’expression la plus évidente de notre attitude face à la vie. De plus, nous sommes les seuls mammifères à marcher sur deux pattes. C’est toute une affaire, quand on y pense! Toute cette lourde et grande structure anatomique est non seulement posée sur deux toutes petites surfaces, mais elle a aussi le projet audacieux de se déplacer! Il n’est peut-être pas étonnant que nous mettions tant de temps avant de faire l’apprentissage de cette formidable posture d’« être humain debout et ambulatoire ». Quand les autres mammifères à quatre pattes se déplacent aisément dès la naissance, le petit de l’humain a besoin de temps et de persévérance pour arriver à faire ses premiers pas. Cela relève du miracle, car marcher sur deux jambes, c’est accepter d’être en état constant de déséquilibre. Quelle est-elle, cette vive intelligence qui œuvre dans l’ombre pour que nous en venions à marcher sans même y penser? Et pourtant, notre civilisation est en train de se sédentariser au point de perdre le sens profond de la marche.
La marche résume notre façon bien personnelle d’aller vers et dans le monde. Elle exprime de façon directe comment nous créons notre existence. L’inverse est tout aussi vrai : en retrouvant le plein potentiel de notre marche, nous pouvons récupérer notre pouvoir de créativité existentielle. La première clé est notre capacité à nous engager pleinement dans l’acte de marcher, car nous ne sommes pas conçus pour ne marcher qu’avec nos jambes; c’est tout notre corps qui avance et s’investit à 100 % dans cette action. Marcher provoque alors de la joie lorsqu’on s’y engage de tout son être. Et s’engager dans sa marche, c’est s’engager dans son existence, c’est incarner dans notre mouvement de vie nos valeurs profondes.
C’est en marchant que l’on revient chez soi : en soi. Avec une grande simplicité, la marche permet de nous établir à chaque pas dans l’ici et maintenant. Le passé terminé et l’avenir inexistant, il n’y a vraiment que le présent. On avance alors avec légèreté sans traîner le sac à dos du passé et libéré des attentes face à l’avenir. On peut alors enfin profiter du paysage et commencer à remarquer les signes sur notre route qui nous indiquent la direction de notre vie.
À chaque pas, la plante de nos pieds touche le sol et nous embrassons toute la vie de la terre avec notre présence. Nous pouvons parcourir le chemin de notre vie comme des somnambules ou bien nous pouvons nous éveiller à chaque pas. Lorsque toute notre attention participe à la marche, les pensées et les histoires du mental se calment; nous respirons, nous réalisons le privilège d’être vivant et nous revenons à notre vraie nature. C’est comme si nous devenons notre marche.
Rappelons-nous que nos pas sur cette planète laissent notre empreinte. Alors, que souhaitons-nous laisser en héritage? Car nous foulons le sol de nos ancêtres et nous sommes nous-mêmes les ancêtres de demain. Nous pouvons aussi marcher pour ceux et celles qui ne peuvent plus marcher et leur offrir notre marche en offrande.
Peut-être notre humanité a-t-elle besoin d’apprendre de nouveau à marcher afin de créer un monde plus humain? Profitons ensemble de ce temps de l’année pour nous remettre à marcher et pour retrouver cette qualité inhérente à notre humanité : nous sommes à la fois le cheminement et le chemin. Marcher, c’est créer un espace pour être pleinement humain, car ainsi debout, entre le Ciel et la Terre, nous assumons notre nature terrestre et notre nature céleste. Marcher est la toute première danse qui célèbre ce que nous sommes véritablement : cette rencontre amoureuse entre le Ciel et la Terre. Nous pouvons dès maintenant choisir de marcher tous ensemble dans la fraternité, créant pas à pas notre paradis terrestre.