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La photographie humaine

Photographie de bébés, de graduations, de mariages… Sollicité, le photographe capte ces moments joyeux de la vie, ces moments mémorables, ces tournants, ces débuts ou fin de cycles. Mais depuis un certain temps, on me contacte pour un autre genre de photographie. Je m’explique.

Le téléphone sonne… puis la voix tremblante d’une ancienne collègue : « Mon mari Michel vient d’apprendre qu’il a un cancer très avancé… Il ne lui reste que quelques semaines à vivre. Nathalie, viendrais-tu faire une séance photo de toute la famille dès que possible? Ta sensibilité est ce dont nous avons besoin en ce moment. » Glurp. « Bien sûr, donne-moi les détails, j’y serai. » Frissons sur tout le corps. « Quel honneur. »

C’est ce samedi après-midi, dans une maison de ferme de la région de Merrickville, entourée de chevaux et de chiens, que j’ai cliqué pour cette famille. Une mère-épouse aux traits tirés, trois grandes filles dans la vingtaine et leurs conjoints, la sœur octogénaire de Michel, et Michel, fragile et souriant. Tous réunis, devant moi. Les mots me manquent pour décrire tout ce qui se passait. Un mélange de fragilité et de retenue. Un mélange de « Il ne faut pas pleurer, il faut être fort. » et de « Nous n’y croyons pas réellement, on dirait un rêve, papa va vraiment mourir? » et de « Sourions et profitons du moment pendant que la photographe est là ». Ouf.

Je ne veux pas faire un texte lourd, je tiens simplement à démontrer la beauté de toute cette histoire. Même si c’est lors de moments comme ceux-ci que, en silence, tu ravales tes propres larmes et, comme on dit, « tu fais ta job », j’ai eu une excellente session. J’aurais pu me laisser tenter par la performance technique et les poses parfaites. J’ai plutôt observé, écouté, accompagné et surtout, ressenti. Je n’ai pas cherché à meubler inutilement les silences pour gérer mes propres malaises, j’ai fait de l’espace pour ce qui devait être vécu en étant branchée à eux et à ce qu’ils vivaient. En respectant leur rythme. C’était de toute beauté.

La photographie humaine, selon moi, consiste à photographier ce qui est invisible à l’œil… tout ce qui baigne la scène finalement. Dans l’espace non physique. Toutes ces émotions. Ces non-dits. Au-delà des regards et des faux sourires. Au-delà des retenues et des incertitudes. Révéler la beauté et la vulnérabilité sous les masques, les rôles, les conventions sociales. Toute la fragilité de l’être humain. C’est aussi cela être photographe. La magie se produit quand nous sommes tellement connectés avec nos modèles que leurs émotions entrent par nos pores, pénètrent dans notre ventre et se connectent au cœur et au doigt qui, lui, clique sur le déclencheur. Une nano-seconde d’invisible, rendue visible!

La photographie humaine, c’est aussi montrer aux gens ce qu’ils ne voient pas d’eux-mêmes. À mon avis, c’est un processus thérapeutique puissant. Ces attentions, ces regards, ces douleurs et ces douceurs. Avec du recul, j’ai décidé d’offrir à cette famille toutes les photos prises lors de la session, vu les circonstances et les délais courts. J’avais envie de leur montrer ce que j’ai vu et ressenti en leur présence. À un certain moment, ils ont dit « Nous ne sommes pas des gens démonstratifs ni affectueux ». J’ai eu envie de répondre « Ah oui? C’est ce que vous pensez, mais attendez de voir ce que je vois! ». J’ai simplement souri.

« Si je pouvais le dire avec des mots, il n’y aurait pas de raison de prendre une photo. »
– Anonyme

Ces récentes expériences d’accompagnement ont donné un nouveau souffle à ma démarche artistique. (Comme si la photographie de mariages n’avait pas été assez révélatrice pour moi, j’ai eu besoin d’une rencontre spéciale comme celle de Michel pour réaliser à quel point je suis privilégiée de vivre tous ces moments avec les gens.)

Pour terminer, voici trois rappels, que je me répète souvent et que je veux partager avec vous :

• Réitérer l’importance du rôle du photographe

Que ce soit lors de mariages ou d’accompagnement de personnes mourantes, nous apportons et nous donnons des images aux gens. Ce sont nos yeux qui voient pour eux. Ce sont nos yeux qui leur permettront de graver des souvenirs dans leurs mémoires. C’est notre présence et notre conscience qui font que les photos seront percutantes de simplicité. C’est ce ressenti et cette connexion avec ce qu’ils vivent qui nous permet de comprendre, d’aimer, puis de vraiment démontrer une scène au final.

• Revenir au présent

Ah la photographie, quel bel outil pour nous ramener dans le présent! L’importance de vivre au présent. Durant ces quelques secondes, pour Michel et sa famille, le temps ne comptait plus. Ils étaient heureux. Dans le maintenant. C’est au photographe de rentabiliser ces secondes. De les documenter. De voir l’invisible richesse du présent, car le passé et le futur ne sont plus importants. Ces moments captés en images permettront peut-être à ces gens de vivre ou de revivre les émotions en revoyant les photos, mais pour l’instant, c’est le moment avec eux qui est précieux.

• Être conscient de notre propre état

Le fait de prendre conscience, soi-même, de nos émotions et de notre état personnel, nous porte à respecter les autres et ce qu’ils vivent. À leur donner la place sans se sentir menacé ou biaisé. Il faut se regarder franchement « Où suis-je aujourd’hui? Est-ce que j’ai moi-même des émotions présentes ou en suspens qui pourraient mettre un filtre à ce que je vois, à ce qu’ils vivent? » Se voir, reconnaître ses émotions du moment, puis les mettre à profit pour capturer les scènes devant nous… pour canaliser ses énergies au service des autres durant la session. Être calme, « groundé », éveillé, allumé, question de ne rien manquer. Être totalement présent pour l’autre, afin d’honorer ce qu’il vit.

J’ai beaucoup de gratitude envers les gens que j’accompagne en les photographiant dans tous les moments de la vie. Je ressens leur confiance et c’est une source incroyable d’apprentissages, que je souhaite à tous. Sur ce, profitez à fond de l’été, une seconde à la fois, avec ou sans vos appareils, car les moments sont tous tellement précieux! Clic.

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Une réponse sur “La photographie humaine”

  1. Quel beau partage de Nathalie Lauzon! Je peux témoigner de sa finesse et de la façon dont elle maîtrise son art. Mon conjoint et moi avons été photographiés il y a de ça plusieurs années en plein travail dans nos jardins. J’avais été impressionnée et émue du fait qu’elle avait si bien su capter un moment de complicité entre nous.

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