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Choisir le bonheur

« Il faut être présent au présent. » David Milot

Dans tous les livres de spiritualité, on parle de l’importance de vivre au moment présent pour atteindre la sérénité intérieure. Qu’est-ce que cela veut dire exactement et comment doit-on traiter le passé et le futur dans cette perspective?

Passé, présent, futur, chacun à sa façon est à la fois une menace au bonheur et un ajout au bonheur.

Le passé est un obstacle au bonheur quand on cultive la culpabilité ou la colère face à ce qu’on ne peut pas changer. Si j’avais su…, j’aurais dû…, je n’aurais pas dû…, il aurait fallu que…, sont des phrases inutiles qui nous amènent à ressasser des sentiments négatifs et à nous sentir impuissants. Une autre forme de ce recours au passé est le piège de l’imagination embellissante : Quand j’étais jeune… Quand mon mari (ou mon enfant) vivait… Si j’étais resté à telle ou telle place… Si telle ou telle chose n’était pas arrivée… Ce genre de réflexion amène les gens à se morfondre face aux pertes réelles ou imaginaires qu’ils ont subies et à voir le temps comme un ennemi qui nous dépouille de notre bonheur.

D’autre part, si nous regardons notre passé comme une source d’apprentissage, alors chaque épreuve même la plus dure peut devenir une source d’enrichissement personnel. Les Chinois ont un proverbe qui dit : « Après deux ans, même un malheur peut servir à quelque chose ». Après deux ans, parce qu’il est normal de ne pas crier de joie lorsqu’on passe à travers une épreuve et qu’il nous faut un certain temps pour faire nos deuils et avoir la distance nécessaire pour en retirer la leçon. C’est une habitude intéressante que de regarder après coup les événements du passé et de se demander : « Qu’est-ce que j’ai appris de cela? ».

Un exercice que je trouve intéressant est de se demander à chaque fois qu’il nous arrive quelque chose de désagréable : « Quels sont dix bons côtés de cette mésaventure? ». C’est une pratique qui nous apprend à voir l’apprentissage plutôt que le seul désagrément dans chaque situation.

Victor Frankl, prisonnier dans un camp de concentration observait que les gens qui gardaient vivants leurs bons souvenirs étaient plus aptes à passer à travers la souffrance et le stress. Le passé peut donc être une source d’apprentissage et de consolation si on laisse de côté les émotions négatives de colère et de culpabilité et qu’on accorde le pardon à soi-même et aux autres.

Le futur peut aussi se révéler une malédiction ou un cadeau selon la manière dont on le traite. Si on se crée des scénarios catastrophiques avec tout ce qui pourrait aller mal, on se crée des émotions d’anxiété, de peur, d’incertitude. Et si je n’avais plus d’argent…, si j’étais malade…, si mon enfant (ou mon conjoint) ne se trouve pas d’emploi…, si je n’obtiens pas telle chose que je désire… De nouveau, toutes ces pensées sont inutiles et ne changeront rien à notre destin tout en volant notre énergie et notre joie de vivre.

Une autre illusion que nous pouvons cultiver face au futur, c’est encore l’illusion embellissante. « Un jour ce sera mon tour. » Un mirage non connecté au présent où tout sera beau, où tout ira mieux, où nous vivrons dans une société parfaite, dans une vie parfaite. Ou encore lorsqu’on reporte notre bonheur à un temps futur où les choses iront mieux et où certains désirs seront accomplis. Je serai heureux quand… (j’aurai mon diplôme, j’aurai un chum, j’aurai perdu vingt livres, etc., à l’infini). Tous ces pièges du futur font de nous des gens tendus, anxieux, attachés de façon beaucoup trop intense à nos buts et objectifs.

D’autre part, si nous regardons le futur comme une suite du présent, on peut se demander lorsqu’on désire, lorsqu’un projet ou une vision nous vient à l’esprit : « De combien de façons puis-je me préparer à cette éventualité? ». Et l’on peut s’engager dans une action qui exige travail, patience, persévérance et vision à long terme pour se réaliser. Un futur bâti non sur la peur de nos scénarios internes, mais sur le plaisir de créer ce qui nous tient le plus à cœur. Et le cadeau du futur sera alors de nous fournir l’énergie pour la réalisation de notre projet. Nous connaissons tous l’histoire de personnes âgées qui survivent presque miraculeusement jusqu’à ce qu’un projet qui leur est cher soit achevé. Un chercheur à qui son médecin annonçait qu’il avait un cancer terminal et qu’il serait mort dans trois mois lui répondit : « Mais, je ne peux pas, mon dernier livre n’est pas fini. Et il prit presque deux ans pour finir son livre, après quoi, il mourut tranquillement, ayant accompli son œuvre et tenu tête à son médecin.

Une vision du futur nous donne une intention, un idéal, une motivation pour vivre et agir. Victor Frankl faisait remarquer que si une des caractéristiques des « survivants » dans les camps de concentration était d’avoir des souvenirs heureux, une autre de leurs caractéristiques était d’avoir des projets ou des visions dans le futur. Il raconte qu’à un moment donné, il était à moitié mort de froid et de faiblesse, les pieds en sang, souffrant de diarrhée et de faim, plié en deux par une toux à fendre l’âme. Il se rendait au travail dans le camp de concentration sous l’œil du fusil des gardiens nazis. Et l’idée lui traversa l’esprit : « Si je me laissais tomber à terre, ils tireraient pour m’achever et toute cette souffrance serait finie ». Et il ajoute : « J’ai pensé aux recherches que j’étais en train de faire et je me suis vu dans une salle de conférence en train d’expliquer mes théories. Presqu’inconsciemment, je me suis redressé et j’ai continué à marcher ». Le futur nous apporte ainsi le courage de passer à travers les moments difficiles, c’est son cadeau, si on ne cède pas à la peur.

Le présent quant à lui est aussi porteur d’une malédiction et d’un cadeau. La malédiction, c’est lorsque nous décidons de nous perdre dans la spontanéité du moment présent sans nous préoccuper des conséquences. Lorsque nous vivons l’excitation de ne plus penser et de faire ce que l’on désire dans ce moment même. Je connais des jeunes bourrés de talent qui recherchent le plaisir instantané et ne sont pas capables de refuser la satisfaction immédiate au nom d’une réalisation à plus long terme. « Je n’ai pas envie… » disent-ils.

Le cadeau du présent, c’est lorsque je suis présent à ce que je suis. Je suis un être-dans-le-temps. Je suis né, je suis, je vais mourir. Je suis, j’ai été et je veux être.

Dans ce présent, je dois intégrer les leçons du passé sinon, ce sont des leçons vides et je n’ai rien appris. Dans ce présent, je me projette dans le futur, ce qui me donne une direction et un sens. Ce qui me rend conscient aussi de l’impermanence de toutes choses.

Et pour jouir du présent, je dois être présent au présent, être là, conscient de tout ce que je suis, attentif à ce que j’ai de plus profond, conscient que je ne suis pas éternel, conscient aussi que je suis relié et partie prenante de tout ce qui a été et de tout ce qui sera.

Vivre au présent, c’est vivre en paix avec son passé et son futur, c’est s’accepter tel que l’on est, c’est accepter son passé tel qu’il est et son futur tel qu’il se présentera.

Vivre au moment présent, c’est rejeter les peurs et les illusions, les rêves catastrophiques ou glorieux pour être tout simplement soi. Bien dans sa peau, s’acceptant soi-même, acceptant ses forces et ses limitations. Présent à soi-même, présent au présent.

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