On parle de plus en plus de l’accompagnement des personnes en fin de vie et sans doute est-ce là un grand bien. Il était temps, d’ailleurs, de retrouver cette préoccupation fondamentale dans notre société qui, depuis quelques décennies, s’est peu à peu appliquée à déshumaniser tout ce qui entoure notre départ. Car l’évidence est criante : on en est venu à ne plus concevoir la mort que comme l’échec de la vie… et de la médecine. Et c’est ainsi que les hommes et les femmes que nous sommes se sont progressivement laissés amputer de leur âme.
Nous ne sommes qu’au début d’un grand travail de restauration de la dignité humaine et d’une juste compréhension du phénomène de la mort. Cependant, si cette préoccupation nous amène inévitablement à nous poser des questions sur la valeur et le sens de notre vie, il convient sans doute d’aller jusqu’au bout de notre réflexion.
En effet, la mort de notre corps n’est assurément pas la seule des grandes métamorphoses auxquelles nous avons à faire face. Je crois en effet que les deux extrémités d’une vie terrestre se ressemblent étrangement. On ne se penche certainement pas assez sur tout ce qu’implique une naissance. On n’y voit, en général, qu’un « heureux événement » et c’est tout… On ne s’interroge pas, ou si peu!
Que vit pourtant l’être qui vient vers nous? Je devrais plutôt dire « que vit l’âme que nous accueillons à cet instant? ». Ne la confondons-nous pas trop systématiquement avec ce petit vêtement de chair qu’elle a souvent tant de mal à adopter? Alors que nous fêtons son arrivée, peut-être vit-elle, de son côté, une mort, l’arrachement à une autre vie, dans un autre monde, bref une métamorphose importante?
Ce sont là, entre autres, les conclusions auxquelles j’en suis venu après plus de vingt ans de recherche dans ce qu’on appelle les « états modifiés de conscience ». Des expériences extracorporelles troublantes m’ont amené à me rapprocher de plus en plus de ces âmes qui s’apprêtent à s’incarner. J’ai recueilli des confidences… parfois des appels au secours.
Car il n’est pas facile de naître à notre monde! Je puis en témoigner par mes incursions régulières dans ces espaces de plus ou moins grande lumière qui constituent la frontière entre les mondes. L’être qui tente de rejoindre à travers le ventre d’une mère a besoin d’être accompagné puisqu’il meurt à son ancienne existence.
De l’autre côté du rideau de la vie, il abandonne une famille, des amis, un soleil… Avec lui, qu’est-ce que nous accueillons? Quelle est cette réalité que nous recevons dans nos bras? C’est là, me semble-t-il, où non seulement, bien sûr, les parents, mais aussi tous ceux qui sont concernés par la naissance : sages-femmes, infirmières et médecins – devraient se poser une question fondamentale. La question de leur rôle d’accompagnateur.
Ils sont les témoins et les acteurs d’une métamorphose majeure. En ce sens, la vie les appelle à poser bien davantage que des gestes médicaux ou hygiéniques. La vie, dans ce qu’elle a de plus sacré, leur demande l’écoute et l’amour. C’est une mue douloureuse que celle qui consiste à devoir prendre un corps. Le premier aliment de l’âme devient alors la chaleur des cœurs humains qui vont l’assister dans son mouvement de naissance.
Que dire maintenant de ces êtres qui, pour de multiples raisons, ne parviennent pas à venir au monde… ou dont on ne veut pas? Que dire de l’amertume que laissent parfois les fausses couches et que penser de cette absence de conscience qui préside trop souvent à ce que l’on appelle pudiquement les « interruptions volontaires de grossesse »? Qu’il faut d’abord en parler et apprendre à y poser un nouveau regard. Qu’il faut ensuite et surtout songer à accompagner ceux qui, d’un côté ou de l’autre du miroir de la vie, en sont les acteurs silencieusement souffrants.
Depuis des années, j’ai suivi bien des âmes sur leur chemin de descente vers nous, dans leurs tentatives d’apprivoiser un corps, dans leurs allers-retours rapides entre les mondes et leur soif de tendresse inassouvie. J’ai recueilli leurs incompréhensions et leurs douleurs… Aussi est-ce dans leur direction que je voudrais aujourd’hui attirer l’attention du plus grand nombre… car il est temps de s’ouvrir à leur appel, à leur demande d’accompagnement.
Il ne s’agit pas de porter un jugement sur qui que ce soit, car toute histoire de vie a sa logique interne qui réclame de la compassion. Il est seulement question d’inspirer une réflexion, de distiller une information sur cette force si subtile et si mystérieuse qui nous habite et que nous avons peur d’appeler le Divin… Car c’est bien elle, en définitive, qui voyage et s’exprime à travers nous.
L’écoute et l’amour nous feraient-ils peur? Posons-nous la question sans tricher… Si c’est le cas, il est grand temps de réagir!
Pour en savoir plus :
Le non-désiré… Rencontre avec l’enfant qui n’a pas pu venir, Daniel Meurois-Givaudan