En 2015, il est difficile de nier la popularité explosive du tatouage. Pourtant, il y a moins d’un siècle, un tel phénomène était impensable, spécialement chez la femme.
Contexte historique
La femme tatouée est un phénomène récent. Vers la fin du XIXe siècle, elle fait son apparition suivant la première vague de féminisme en Amérique, principalement sous forme de phénomène de cirque. Ces femmes, étant extrêmement bien payées, n’avaient pas besoin d’un homme pour les faire vivre, situation rarissime pour cette époque.
Dans les années 30 à 60, le féminisme continue sur sa lancée, et les femmes élargissent leur accès à l’éducation et solidifient leur identité. Le tatouage est popularisé chez les Américains, et plusieurs femmes arborent de petits tatouages discrets, souvent sur les zones intimes.
Les années 70 marquent un tournant majeur avec l’adoption de la Charte des droits et libertés qui octroie aux femmes le droit à leur corps, notamment avec la légalisation de l’avortement.
Le féminisme des années 90, axé sur la diversité culturelle et sexuelle, vient à bout des vieux stigmates et donne naissance à la génération de femmes tatouées d’aujourd’hui. On parle finalement de recherche d’individualité et d’identité propre.
La femme : objet de désir
Il va sans dire que la femme tatouée choque. Celle-ci fut dès le début accusée de mœurs légères, ou de vulgarité. Qu’est-ce qui peut conditionner un tel jugement? Il faut d’abord comprendre que l’image féminine valorisée par la société n’a souvent pour but que le désir de l’œil masculin. Les notions de pureté et de perfection lisse suggèrent métaphoriquement la poupée de porcelaine. En tant qu’objet inanimé et générique, elle permet la projection du désir de l’homme, comme un film sur un écran vierge. C’est pourquoi les interventions corporelles visant à l’uniformité, telles que la chirurgie plastique ou le maquillage permanent, sont plus facilement acceptées, voire encouragées. Le tatouage redonne au corps sa volonté propre et le différencie. C’est ce qui en rend la pratique si menaçante aux yeux de certains.
« Le tatouage féminin n’est pas une question de décoration ou de transformation, mais bien une offense à la pureté symbolique si importante pour l’économie du désir masculin. » (Tattoos – Philosophy for Everyone)
Motivations
Si nous ne sommes pas tous pervertis ou des criminels latents, alors pourquoi nous faisons-nous tatouer? L’évolution du tatouage comme forme artistique dans les années 90 nous permet maintenant d’étudier le phénomène d’un point de vue théorique.
L’approche formaliste stipule que la qualité d’un travail artistique donné repose purement sur sa forme, la qualité de sa réalisation et son aspect visuel. Comme de fait, plusieurs tatouages sont réalisés pour leur valeur esthétique. Les gens les portent comme ornements, à la manière d’un vêtement ou d’un bijou.
L’approche expressionniste a comme souci plutôt l’émotion et la réaction que ce sujet provoque chez une personne. Incidemment, plusieurs personnes vont choisir leur tatouage pour sa valeur émotionnelle et ce qu’il représente pour eux (sans bien sûr en négliger la valeur esthétique pour autant).
À notre époque, les tatouages sont le résultat d’un acte intentionnel et délibéré. Il s’agit d’un puissant acte communiquant par lequel nous nous approprions notre corps. Se faire tatouer est un engagement envers soi-même à s’auto-créer dans notre propre contexte indépendant. Il s’agit à la fois d’un acte d’expression et de formation de soi. Se rendre visible dans cette affirmation de soi-même, c’est devenir vulnérable et exposé à la critique de notre identité profonde. C’est une grande épreuve de détermination du caractère.
Dans la connaissance et l’acceptation de soi et de notre pleine individualité, on finit forcément par accepter les autres. On se libère des rôles préétablis, définis par le sexe, la race, l’âge ou la classe sociale. L’individualité explorée, loin de nous marginaliser, nous rapproche au final de la collectivité.